« Exploration d’une poétique de l’oblique dans la poésie d’Emily Dickinson »
par Claire Patoyt, enseignante en CPGE au lycée Faidherbe à Lille, auteure d’une thèse sur Emily Dickinson et la traduction française de ses poèmes, université Paris-Diderot
Dire la Vérité par l’oblique: cette exhortation sous-tend l’écriture d’Emily Dickinson
qui sonde et interroge, par le biais d’une énonciation volontiers métaphorique et souvent
énigmatique, des concepts philosophiques, des aspects du dogme calviniste ou encore les tourments d’une âme taraudée par le doute religieux ou sidérée par une angoisse
protéiforme. Les poèmes apparaissent alors comme des expériences de pensée mettant la voix poétique aux prises avec un objet qu’elle tente de circonscrire mais qui souvent lui échappe, de sorte que le lecteur est mis au défi de déchiffrer l’insaisissable.
Est-ce à dire que les poèmes d’Emily Dickinson sont irrémédiablement hermétiques ? Autrement dit, l’insaisissable y est-il nécessairement synonyme de mise en échec de la pensée, et partant, de l’interprétation? N’est-il pas dans le même temps,
fondamentalement, gage de liberté créatrice, « séjour » dans le possible (“I Dwell in
Possibility”) c’est-à-dire dans la plurivocité et la mobilité d’un discours poétique qui tient
à distance la rigidité dogmatique?
Après avoir mentionné quelques clefs de lecture biographiques et contextuelles
permettant de rendre certains poèmes moins opaques, nous aborderons les principales modalités d’écriture de l’oblique qui caractérisent l’écriture dickinsonienne pour enfin solliciter les traductions françaises. Nous verrons en effet que le dialogue entre un poème et ses traductions constitue une démarche herméneutique privilégiée pour mettre au jour la « grammaire du secret » (Christine Savinel) à l’œuvre dans les poèmes.